La citation du mois

"Il faut accepter de ne pas savoir. Demain n'existe pas. Pense à maintenant!"

Frédéric Bihel

24 mars 2010

"La Douane volante" - François Place, 2010

Nous sommes en Bretagne, en 1914.

Suite à une partie de pêche qui a mal tourné, le jeune Gwen est recueilli par le vieux Braz, rebouteux du village. Il lui doit la vie et rentre donc à son service. Lorsque le vieux Braz meurt, Gwen hérite de tous ses biens. Mais les villageois, mauvais, jaloux, s'en prennent à lui et à sa maison, persuadés que le sorcier cachait un trésor. Ils s'en prennent violemment à Gwen, et le soir même, l'Ankou vient pour l'emporter dans sa sombre charrette vers le pays dont on ne revient jamais...

Il se réveille sur une plage, et est immédiatement recueilli par Jorn, le garde-côte, et sa douce épouse Silde. Son histoire d'Ankou et de charrette, personne n'y croit. Même, il ne faut surtout pas les mentionner sous peine d'être mis aux fers par la douane volante. Non, ceux qui s'échouent sur la plages, ce sont des Égarés...

Quel est donc ce lieu étrange, et ces gens qui parlent une langue inconnue? Quand sommes-nous? (Qui suis-je? Où vais-je? Dans quel état j'erre?) Si tout fait penser à la Hollande (la mer, les marais, la langue), plutôt qu'au XXe siècle on se croirait au Moyen Age, tellement certaines coutumes sont barbares. Gwen ne saurait dire s'il est mort ou vivant; il est perdu, prisonnier de ces gens et de cet endroit dont on ne s'échappe pas.

Jorn a des projets pour lui, et décide d'exploiter le don du rebouteux à son profit. Commence alors pour Gwen une série d'aventures sur fond de médecine à collerette, et toujours ce même désir: partir. Se sauver et rejoindre sa Bretagne natale, quel qu'en soit le prix.

François Place nous livre donc un récit initiatique fantastique, classique sur la forme, mais original sur le fond (la médecine et la Hollande: peu courant dans les romans jeunesse), et bercé par les légendes bretonnes (l'Ankou et les Krakens, notamment). François Place, à l'origine, est illustrateur, et cela se ressent dans son écriture. Il peint les situations et les décors avec ses mots, et possède un talent certain pour décrire les atmosphères; il sait donner vie à son texte, de façon étonnamment réelle. L'écriture est douce et belle, fluide, visuelle; on se laisser charmer et surprendre dès les premières pages.

Le début du roman est empreint de mystère et d'inquiétude, mais ceci est vite mis de côté pour se concentrer sur la capacité d'adaptation de Gwen à cet environnement qu'il ne comprend pas. Soit. Mais j'avoue être restée sur ma faim en arrivant au bout de l'aventure. Les questions du début n'appellent pas forcément de réponse, c'est vrai. C'est un roman fantastique, tout ne s'explique pas nécessairement. Mais quand même... les dernières pages ne m'ont pas donné matière pour rêver une explication, si farfelue soit elle. Je me suis laissée porter gentiment par cette lecture, mais je me suis essoufflée. Déçue, donc, par cette fin un peu en queue de Kraken :-)

Ceci dit, je suis peut-être passée à côté pour un tas d'autres raisons. D'ailleurs, les avis sur cette lecture sont mitigés. Me donnerez-vous le vôtre?



La Douane volante, de François Place
Gallimard jeunesse, 2010

"Comme une tombe" - Peter James, 2006


Un bon petit polar, de temps en temps, ça fait du bien...

 Celui-là a été lauréat du Prix Cœur Noir du Festival Polar dans la Ville 2007 de Saint-Quentin en Yvelines, et c'est mérité.

Voici l'histoire de quatre amis partis pour fêter l'enterrement de vie de garçon de l'un d'eux, Michael Harrison. Le mariage a lieu dans quatre jours, et une dernière tournée des bars s'impose.

 Pour se venger des mauvais tours que Michael avait l'habitude de leur faire, ils ont élaboré une mauvaise blague: enterrer Michael vivant dans un cercueil, avec pour seuls compagnons un magazine porno, une lampe torche, une bouteille de whisky et un talkie-walkie. Un tube en plastique lui permet de respirer à la surface. Michael, ivre mort, ne se rend pas bien compte de ce qui lui arrive, proteste peu. Le cercueil est soigneusement recouvert de terre, et les trois amis s'en vont finir leur tournée des boîtes de strip-tease. Ils reviendront dans deux heures pour délivrer Michael.

 Oui mais voilà. Trop d'alcool dans le sang, l'inévitable accident. Et là, c'est le drame... Les trois amis sont tués sur le coup, et ils étaient les seuls à savoir où était enterré Michael. Ne le voyant pas rentrer, sa fiancée alerte la police qui commence son enquête. Le compte à rebours est lancé...

 Le témoin était-il au courant de ce qui était prévu ce soir-là? Pourquoi n'était-il pas avec les autres? Et pourquoi la fiancée de Michael a-t-elle tant attendu avec d'alerter les autorités?

 Beaucoup de questions qui trouveront des réponses au fil des pages. Le suspense et l'angoisse sont omniprésents dans ce roman délicieusement machiavélique. L'écriture - et la lecture - sont très fluides, et les pages défilent à une vitesse folle. Impossible de se détacher de ce livre qui vous tient en haleine tout du long, allant de rebondissement en rebondissement, toujours plus surprenants les uns que les autres. Parfois même l'envie de refermer le livre pour laisser un peu de répit à l'enterré vivant, qu'il reprenne son souffle et nous avec! Et aussi ce terrible sentiment d'impuissance de savoir la vérité alors que lui ignore tout de ce qui se trame à l'extérieur. Pauvre petit moucheron englué dans une toile parfaite...

 On s'imagine aisément la boue collant aux bottes, et creusant la terre à mains nues pour abréger son calvaire. Mais voilà, nous ne sommes que le pauvre lecteur haletant, impuissant, suspendu au bon vouloir de l'auteur. Et c'est horriblement bon !

 C'est un livre à ne pas manquer. Et si vous êtes en recherche de sensations fortes, croyez-moi, vous ne serez pas déçu! 


Comme une tombe, de Peter James
Éditions du Panama, 2006

18 janv. 2010

"La Horde du Contrevent" - Alain Damasio, 2004

Imaginez une bande de terre, large de 2000 km, bordée au Nord et au Sud par les glaces, montagnes infranchissables. Et un vent qui souffle en continu, de l'Amont vers l'Aval, plus ou moins fort, et toujours dans le même sens... Ici, on n'avance pas. On contre.

Depuis huit siècles, les Hordes se succèdent, faisant le même pèlerinage pour atteindre l'Extrême-Amont et trouver une réponse à LA question...

Cette horde, la Horde du Contrevent, est la trente quatrième, et la dernière. Elle est constituée de 23 membres, l'élite, triés sur le volet, et conditionnés dès leur plus jeune âge à vouer leur vie pour un but commun: découvrir l'origine du vent.

Chacun a une fonction qui lui est propre, et toutes sont indispensables et complémentaires; et pour chacun, Damasio adopte un style littéraire différent.

Il y a Golgoth, le Traceur, 9ème de sa lignée, totalement habité par sa quête. Aidé d'Arval, Eclaireur, c'est lui qui décide du chemin à prendre. Il y a Pietro, Prince, diplomate. Caracole, Troubadour insaisissable et imprévisible. Erg Machaon, Combattant-Protecteur, qui assure avec bienveillance la sécurité du groupe. Oroshi Melicerte, Aéromaître, est une magicienne de l'air; elle décode le moindre souffle de vent. Callirhoé, Feuleuse, est maîtresse du feu. Larco, Braconnier du ciel, attrape dans ses filets aériens de quoi sustenter la Horde... 23 membres, une famille unie par une même quête et une solidarité hors normes.

Si La Horde du Contrevent est incontestablement un chef-d’œuvre, Alain Damasio est un Maître. Son roman ne ressemble à rien de déjà connu, il sort des cadres pour trouver sa propre liberté. Cela en fait un livre-univers unique, à haute dimension philosophique et poétique, totalement désarçonnant tellement nos repères sont bouleversés…

Alain Damasio manie la langue française d’une plume de maître. Il joue avec les mots, leur redonne vie et saveur ; il leur offre une seconde chance, les utilise hors de leur contexte habituel pour leur donner un nouveau sens ou apporter une dimension poétique à son récit… à tel point qu’on en vient parfois à oublier leur acception « première » tellement cela a du sens.

Contrairement à bon nombre de livres où l’on sent clairement que l’auteur écrit pour son lecteur, ici on a vraiment l’impression que l’auteur écrit autant pour son lecteur que pour lui-même ; que l’écriture est un prétexte au jeu, et que l’auteur s’amuse de la langue, en se lançant des défis linguistiques et littéraires qu’il relève avec brio, lointainement inspiré par un Raymond Queneau et ses Exercices de Style. Il réussit notamment à mettre en scène une joute verbale ayant pour contrainte le palindrome, et à construire un dialogue qui ait du sens!

Je pourrais vous parler de ce livre pendant des heures, et je ne suis pas la seule. Mais voilà, je ne veux pas trop en révéler pour vous laisser l’émerveillement de la découverte. Et de toute façon, les mots, même choisis avec soin, sont insuffisants pour décrire un tel univers de sensations et d’émotions. Comme le dit Le Clézio, Ce qui me tue dans l’écriture, c’est qu’elle est trop courte. Quand la phrase s’achève, que de choses sont restées au dehors !

Je terminerai donc en vous disant qu’immanquablement, ce livre va laisser une Trace. Il change votre regard sur le monde, vous incite à développer vos sens et à être attentifs à l’infime, à voir l’invisible. Jamais plus vous ne sentirez le vent sur votre visage de la même façon…


La Horde du Contrevent, d'Alain Damasio
La Volte, 2004 (avec la Bande Originale du Livre)
Folio SF, 2007 (pour la version poche)