La citation du mois

"Il faut accepter de ne pas savoir. Demain n'existe pas. Pense à maintenant!"

Frédéric Bihel

3 juin 2011

"Pour te venger, Joy" - Geneviève Senger, 2011

C'est d'abord la couverture qui m'a happée. Je l'ai trouvé à la fois très belle, et d'une infinie tristesse. Comme si l'eau de l'aquarelle allait soudain se mettre à rouler en larmes sur le visage de la jeune fille.

J'ai voulu savoir ce qui rendait cette belle jeune fille si triste, et pourquoi diable elle avait besoin d'être vengée. Là commence ma lecture...

Joy, 16 ans, la meilleure amie de Lucas, ne peut s'être suicidée. Pourtant, tout est là: la lettre, le chagrin d'amour, le test de grossesse... La mère de Joy, après avoir été dans le déni, a fini par admettre que sa fille avait choisi de basculer dans le vide pour mettre fin à son chagrin.

Mais lorsque Lucas vient passer des vacances chez eux, à Strasbourg, il va mettre à profit ce temps pour essayer de comprendre, de trouver des éléments nouveaux dans la chambre intacte de son amie qui pourraient expliquer son geste désespéré.

Joy n'était pas dépressive, et ne lui avait jamais fait part d'inquiétudes, ou de graves problèmes. A remonter le fil de l'histoire, il finit par retrouver celui qu'elle désignait comme le père de l'enfant qu'elle portait, ainsi qu'une de ses amies; petit à petit, les éléments s'assemblent. Un scénario commence à se dessiner, effroyable. Mais Lucas, aveuglé par son désir de vengeance, ne va-t-il pas trop loin en conjectures? Il se doit de faire la part des choses entre ce que lui dicte son intuition, et ce que sont réellements les faits. Malgré tous ses efforts de rationalisation, le doute s'insinue, vicieux, collant, épuisant...

L'histoire de Joy et Lucas m'a profondément bouleversée. Parce qu'à un moment j'ai eu leur âge, parce que j'ai vécu des chagrins d'amour, et parce qu'un jour un ami a eu un geste désespéré, j'ai pu profondément m'identifier à eux.

On peut ne pas accepter, mais il est très douloureux de ne pas comprendre. Douloureux aussi de s'apercevoir qu'on ne connaît pas nos proches aussi bien qu'on le croyait. J'ai souvent l'impression qu'on a tendance à ne pas voir plus loin que le bout de son nez; ce livre m'a rappelé d'une façon tout à fait vertigineuse que chaque être humain est un univers qui, en diverses occasions, rentre en interaction pour une durée donnée avec d'autres univers, puis recommence ailleurs, indéfiniment...

On a beau être très proches de certaines personnes, on ignore tout de l'océan d'émotions qui les gouverne, de ce qui les meut dans le monde, de leurs blessures... En prendre conscience ne changera pas forcément la face du monde, mais c'est déjà un début, pour se rappeler d'être à l'écoute de se qui se passe autour de nous.

Un gros coup de coeur, donc, pour ce livre beaucoup plus profond qu'il n'y paraît au premier abord. A lire les yeux fermés, si je puis dire :-)


Pour te venger, Joy de Geneviève Senger

Oskar Editions, 2011

6 févr. 2011

"Croque! La nourrissante histoire de la vie" - Aleksandra Mizielinska, 2010

Je n'ai encore jamais été déçue par un livre des éditions Rue du Monde, et celui-ci ne fait pas exception!

Croque! explique de façon très simple aux enfants le principe de la chaîne alimentaire, ou comment pour vivre, chaque être vivant se nourrit de l'être vivant qui le précède. Avec une note d'humour, on comprend très bien que le petit chat mort (parce qu'il était très très vieux) servira de nourriture aux vers, qui eux serviront de nourriture aux oiseaux, etc.

L'enfant aborde ainsi la notion d'équilibre et d'écosystème, et comprendra sûrement l'importance d'en prendre soin...

Tout cela illustré évidemment de magnifiques dessins en noir et blanc tels des gravures (voir l'image de couverture). En plus d'être intéressant, c'est un bel objet qui fera un beau cadeau.

A ne pas manquer!



Croque! La nourrissante histoire de la vie, de Aleksandra Mizielinska
Rue du Monde, 2010

5 févr. 2011

"Auprès de moi toujours" - Kazuo Ishiguro, 2009

Et dire que d'après la jolie couverture, je m'attendais à un roman classique, insouciant comme l'enfance, presque candide... J'étais bien loin du compte, car ce livre de Kazuo Ishiguro est un véritable ovni. Le plus dur va être de vous en parler, de vous donner l'envie, sans rien vous révéler...

Kath, la narratrice, nous raconte avec beaucoup de recul et de sagesse ses souvenirs d'enfance auprès de ses amis Ruth et Tommy, et comment ce qu'ils vécurent étant enfants a pu faire d'eux ce qu'ils sont devenus. Ils ont été élevés ensemble depuis leur plus jeune âge à Hailsham, une sorte de pensionnat à la fois strict et où il fait bon vivre.

L'atmosphère générale du livre au début est assez plaisante, mais très vite, on sent que quelque chose cloche. Si l'on gratte un peu le vernis, que va-t-on découvrir en dessous? Ce n'est pas vous en dire trop que de vous dire que jamais, on n'évoque des parents, de la famille, des frères et soeurs. Jamais les enfants ne quittent l'internat pendant les vacances. On ne parle pas de professeurs, mais de gardiens. On leur répète sans cesse qu'ils sont spéciaux, différents des autres; ils seraient une sorte d'élite. On sent qu'un lourd secret plane sur ces enfants. Jamais on n'évoque l'extérieur, comme s'ils étaient seuls au monde. Si bien que très vite, cela tourne au huis clos oppressant...

L'auteur, à travers Kath, sait nous tenir en haleine de façon extrêmement subtile. On ne tourne pas les pages frénétiquement... mais on les tourne, dès qu'on peut. C'est le genre de livre qui n'empêche pas de s'endormir le soir, mais qu'on garde pourtant tout le temps auprès de soi, au cas où on aurait 3 minutes pour lire un peu :-)

Je suis sortie de cette lecture toute chamboulée par une belle histoire d'amour, et aussi par cet aperçu de ce que notre société pourrait devenir sous peu si l'on commençait à mettre de côté notre éthique (c'est sûrement déjà le cas; on ne sait pas tout ce qui se trame dans sur notre dos!).

Voilà en tout cas un roman d'anticipation qui donne vraiment à réfléchir: Que sommes-nous? Que voulons-nous faire du temps qui nous est donné à vivre sur terre? Que voulons-nous être pour les autres? Dans quel monde voulons-nous vivre, et que pouvons nous faire pour y arriver? Comment résister à la perte de l'innocence et à la confrontation à la vie d'adulte? Et comment faire vivre la mémoire individuelle et collective?

J'ai encore l'impression étrange de flotter entre deux eaux, entre rêverie et nostalgie. Ce livre est assurément un petit bijou que je vous recommande vivement. Et j'aimerais beaucoup avoir votre avis dessus...

Sortie en salle le 2 mars 2011 de l'adaptation cinématographique de ce roman: "Never let me go"

Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro
Gallimard, Folio 4659, 2009